jeudi 19 janvier 2017

Cyril Hanouna, le caïd cathodique

A force de multiplier les dérapages à l’écran, l’animateur surdoué est devenu emblématique d’une télévision populaire qui déraille. Portrait d’un enfant du petit écran devenu un caïd cathodique, locomotive publicitaire du groupe Canal Plus avec 1,5 million de fidèles quotidiens 



D’abord apprivoiser le vocabulaire: sur Internet qu’il affectionne pour communiquer directement avec ses fans – ils sont quatre millions à le suivre sur Twitter – Cyril Hanouna est «Baba». Et chaque nouvel épisode de «Touche pas à mon poste», son émission culte diffusée chaque jour de 19h10 à 21h sur la chaîne française C8, est terriblement «Darka» (synonyme de très bonne ambiance).
Mieux: quand une séquence vidéo de ses pitreries à l’antenne fait un max de buzz, la «kiffade» est totale. Un monde en soi, ponctué d’interjections piquées à la Tunisie que ses parents abandonnèrent à l’orée des années 1960 pour venir s’installer en France, aux Lilas (en Seine-Saint-Denis). Celui que l’acteur Bruno Solo désigne comme un «Michel Drucker Punk» s’est, en six ans de règne à la tête de TPMP, créé un univers à lui. Un royaume en forme de talk-show dont il vante jour après jour les mérites auprès de son million de «Fanzouses» et autres «chéris d’amour»…

La recette Hanouna

La recette Hanouna n’a rien de très original. Lorsqu’il parle à la presse, tenue ces temps-ci à l’écart en raison de la polémique qui l’oppose aux «sages» du Conseil supérieur de l’Audiovisuel, l’animateur le plus puissant du fameux paysage audiovisuel français se plaît à vanter ses limites. Un surdoué, lui, ce saltimbanque fier d’avoir tenu l’antenne 35 heures d’affilée sur Canal Plus en octobre dernier? «Je ne pense pas avoir un colossal talent. Mais ce qui est vrai, c’est que je ne lâche rien», expliquait-il à Libération en 2012, alors que sa cote de popularité commençait à décoller, version fusée. Les désabusés le comparent à Patrick Sébastien, maître hexagonal de la télé potache-paillettes. Les intellos le jugent à l’aune du héros de son adolescence télévisuelle: l’américain David Letterman, gourou des talk-shows nocturnes à l’humour dézingué. «Sa force est de ne pas jouer un personnage explique un des anciens membres de son équipe de chroniqueurs. Il est «Baba», le déconneur qui pige mieux la TV que tous les autres».

Le roi Hanouna sur un trône vacillant

Père médecin, femme enseignante, deux jeunes enfants, le roi Hanouna est depuis quelques mois sur un trône vacillant. Même Vincent Bolloré, propriétaire de Canal Plus dont «Baba» est «la» star, s’est inquiété des réprimandes du CSA à la suite des controverses survenues sur le plateau de H20 Production… l’entreprise que l’animateur a créée pour se produire lui-même, et qui totalise aujourd’hui le plus grand nombre d’heures fabriquées pour le petit écran. Blagues sexistes, gestes jugés dégradants, moqueries organisées contre tel ou tel livré en pâture au public prié de le huer… Le magazine «Society», pur produit de l’époque Hanouna, a chargé la barque au début 2016, en donnant la parole à d’ex-collaborateurs de TPMP épuisés par cet enfer «de thunes et d’audience». Et après? «Baba» a riposté puis, une fois calmé… s’est empressé de faire revenir Nabilla, la bimbo originaire d’Annemasse passée par la case prison.

Programmée, la fin de la télé exhibitionniste?

La fin de la télé exhibitionniste de cet animateur qui démarra en montrant ses fesses à l’écran est-elle programmée? Pas sûr. Car le «Baba» de 2016 est bien plus qu’un maître-guignol. Un directeur de chaîne l’admet: «Hanouna vit jour et nuit pour la télé, en grand fauve médiatique. Se faire juger par un bureaucrate du CSA est pour lui dégradant. C’est un gladiateur déconneur». Même question à un expert parisien des nouveaux médias, désireux lui aussi de rester anonyme pour ne pas fâcher la star: «Cyril est un super-pro qui, contrairement à Michel Drucker, ne vieillira pas devant les caméras. Il force le trait et transgresse car il sait que son avenir est ailleurs: à la tête d’une chaîne, voire d’un groupe multimédia». On croit «Baba» mercenaire. Lui se voit Empereur télévisuel: «C’est Docteur Hanouna et Mister Hyde reconnaît une ancienne de Canal Plus, limogée par Bolloré. Il veut impressionner plus que séduire»

C’est la brutalité qui est aimée

Le chercheur Dominique Wolton a beaucoup écrit sur la télévision. Son dernier livre Communiquer c’est vivre (Cherche Midi), est un signal d’alarme face à une télé devenue folle, oublieuse de sa mission populaire. Hanouna? «Ces animateurs de télévision ne construisent rien. C’est leur brutalité qui est aimée». «Baba», le démolisseur marche sur les pieds de ses aînés Ruquier et Ardisson, met en scène sa confrontation avec le rappeur colérique Joey Starr, ne vote pas tout en disant, très mainstream, «apprécier François Hollande». Il affiche son judaïsme tout en regrettant, sincère, «le temps ou nos religions n’avaient aucune importance au lycée». Hanouna ou l’incarnation du rire qui fait mal, de l’argent qu’on brasse, des contrats relus par des bataillons d’avocats et des pressions contre tous ceux qui, dans le milieu télévisuel, osent faire du «Baba bashing»: «Si je voulais être vraiment méchant, je dirai qu’il lui manque le goût de la culture, cette curiosité du savoir qui pourrait le hisser plus haut», poursuit notre directeur de chaîne, jadis éreinté par le personnage.

Humour industriel

«Baba» ne nous a pas reçus. Deux jeunes confrères sont allés pour nous espionner son plateau de «Touche pas à mon poste» dans l’immeuble Arc de Seine de C8, à Boulogne. Humour industriel. Mais aussi vraie bande de copains cathodiques. Cyril Hanouna, furieux d’être désormais régulièrement talonné par le «Quotidien» de l’élégant caustique Yann Barthès, n’a pas changé de camp: il joue le populo contre l’intello. Le chef de bande à l’ancienne contre l’impertinent mondain. La télé est un miroir. La déferlante populiste, en France, n’est pas seulement une affaire d’urnes.

Profil

1974: Naissance à Paris
1999: Première apparition télé sur la chaîne câblée Comédie
2010: Lancement de «Touche pas à mon poste» sur France 4
2012: TPMP passe sur la chaîne D8, devenue C8
2016: En mars, record d’audience historique avec 1,95 million de téléspectateurs
2016: En décembre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel lance une procédure de sanctions contre Cyril Hanouna pour «non-respect de la personne humaine»

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