La superstar du Real Madrid a dissimulé, depuis 2008, 150 millions d’euros dans des paradis fiscaux, en Suisse et aux îles Vierges britanniques, selon les documents Football Leaks révélés par Mediapart et ses partenaires de l’European Investigative Collaborations (EIC). Ronaldo a d’abord caché son magot au fisc, puis s’est débarrassé de sa coquille offshore, éludant au passage 31 millions d’euros d’impôts.
Voilà enfin un trophée que Cristiano Ronaldo ne se verra pas contester par Lionel Messi. Il n’est pas question ici du Ballon d’or, attribué le 12 décembre, que les deux joueurs se partagent depuis 2008. Ni du match au sommet opposant ce samedi 3 décembre leurs clubs, le Real Madrid et le FC Barcelone, devant 500 millions de téléspectateurs. Mais d’un terrain sur lequel on ignorait que la vedette portugaise pulvérisait son rival argentin : la dissimulation fiscale.
Avec son évasion de 4,1 millions d’euros organisée par son père et pour laquelle il a été condamné l’été dernier à 21 mois de prison avec sursis et 2 millions d’euros d’amende, Lionel Messi fait désormais figure d’artiste naïf. Ronaldo est, lui, un prestidigitateur de génie. Pendant que le monde du football a les yeux rivés sur ses passements de jambes, l’argent qu’il a entre les mains est déjà parti loin, très loin.
Ronaldo utilise depuis 2008 un système massif et très organisé d’évaporation d’argent, élaboré par son agent Jorge Mendes, selon les documents Football Leaks, obtenus par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel et analysés par le réseau de journalistes d’investigation EIC (European Investigative Collaborations) dont Mediapart fait partie.
Ces documents montrent comment la star du Real a encaissé, en toute discrétion, un total de 149,5 millions d’euros de revenus de sponsoring dans des paradis fiscaux ces sept dernières années. L’attaquant n’a payé, sur cette fortune, que 5,6 millions d’impôts. Soit à peine 4 %. Une prouesse.
Pour des montages offshore identiques, d’autres pensionnaires du Real Madrid, dont José Mourinho, ont été l’objet d’un redressement fiscal. Des joueurs du championnat espagnol, comme Samuel Eto’o et Lionel Messi, ont été traduits en justice pour des montants pourtant bien inférieurs. Mais Ronaldo est visiblement un contribuable à part. Ce qui ne manque pas d'interroger sur les protections dont il pourrait bénéficier.
Le joueur portugais a d’abord touché, entre 2009 et 2014, 74,8 millions via une société offshore immatriculée aux îles Vierges britanniques, sans en parler au fisc. Par peur d’être découvert, il a fini par en déclarer une partie. Un contrôle fiscal a été lancé. Mais ses avocats sont miraculeusement parvenus à lui éviter des pénalités. Selon nos informations, il n’a même pas eu à payer d’intérêts de retard pour sa très partielle et très tardive déclaration.
L’enquête de l’EIC a cependant permis de découvrir une seconde opération encore plus problématique. Le 20 décembre 2014, Ronaldo a vendu pour 74,7 millions d’euros ses droits marketing pour les années 2015-2020, afin de continuer à profiter d’un régime fiscal ultra-avantageux qui allait disparaître douze jours plus tard. Il a, de cette manière, éludé 31 millions d’euros d’impôts. Selon des documents obtenus par l’EIC, cette manœuvre donne des sueurs froides à ses avocats, le cabinet Senn Ferrero, qui estime qu’un nouveau contrôle fiscal à ce sujet est certain.
Interrogé par l’EIC, Senn Ferrero minimise et explique qu’« une inspection est toujours en cours. Apparemment, le plus probable est que les impôts espagnols trouveront très peu de choses ». En réalité, le cabinet d’avocats est terriblement inquiet. Le 24 novembre dernier, 24 heures après avoir reçu nos questions, Senn Ferrero a obtenu en Espagne une décision de justice qui interdit à notre partenaire El Mundo de publier le moindre article sur le sujet, et qui lui ordonne de communiquer l’ensemble des documents et l’identité de notre source, au motif que ces documents auraient été volés (lire ici). El Mundo a fait appel de ce jugement.
Senn Ferrero ne s’est pas arrêté là (voir également l’onglet Prolonger). L’EIC a reçu le 25 novembre un courrier des avocats du même cabinet, menaçant de poursuites tous les membres du projet Football Leaks si nous persistions à vouloir publier. Ni El Mundo, ni Mediapart, ni aucun des membres de l’EIC ne s’est plié à cette injonction gravement attentatoire à la liberté d’informer. Rappelons que dans une autre affaire de droits à l’image, le parquet vient de requérir dix ans de prison ferme à l’égard du footballeur camerounais Samuel Eto’o, dont la fraude n’a représenté un manque à gagner « que » de 3,9 millions d’euros pour le fisc espagnol.
Quant à Gestifute, la société de l’agent de Ronaldo, Jorge Mendes, elle a mis en ligne le 1er décembre un communiqué dans lequel elle menace elle aussi de poursuites judiciaires tout journal qui mettrait en cause la probité fiscale du joueur. « Cristiano Ronaldo et José Mourinho [également mis en cause] respectent pleinement leurs obligations fiscales vis-à-vis des autorités fiscales espagnoles et britanniques », avance Gestifute, qui tente de rassurer par avance les fans du joueur.
Le football permet de s’évader, et c’est aussi vrai pour les spectateurs. Devant un match, ils ne pensent qu’au jeu. Ils dépensent sans compter en dépit de tarifs cumulés exorbitants : places au stade, maillots, abonnements à des chaînes de télévision… Hypnotisés par le spectacle, les fans tolèrent des salaires démesurés. Ils se sont habitués à des montants de transferts exponentiels.
Le problème est que cet argent se volatilise. Quand les fans s’offrent une paire de Nike griffées « CR7 » (le numéro fétiche de Ronaldo, floqué sur son maillot) à 325 euros, ils ne s’imaginent pas que l’attaquant portugais encaisse 13 euros, via une société offshore aux îles Vierges britanniques. Ni que l’argent, qui ne revient pas sous forme d’impôt dans les caisses de l’État, fera ainsi défaut pour construire des stades, les transports qui les desserviront, pour payer les policiers qui en assureront la sécurité, bâtir des terrains pour des jeunes, ou encore faire fonctionner les hôpitaux où seront soignés les blessés.
Ronaldo est ou n’est pas le meilleur joueur du monde. Peu importe. Ce qui est sûr, c’est qu’il en est la plus grande star, son représentant le plus éclatant avec ses 200 millions de fans sur les réseaux sociaux. À compter d’aujourd’hui, il en deviendra aussi le symbole le moins reluisant. Car l’homme qui fait rêver les enfants n’aime pas les impôts. Considère-t-il qu’en payer équivaut à une défaite ? Vit-il tout cela comme un jeu, où la tricherie serait comparable à la simulation d’un penalty ? À moins que ce soit la déformation du sportif de haut niveau : vouloir gagner toujours plus même quand il a déjà tellement gagné.
Le contribuable Ronaldo a pourtant largement de quoi payer. Il a accumulé un patrimoine de 209 millions d’euros, logé en grande majorité entre la Suisse et le Luxembourg. Il y a aussi sa maison à Madrid (4,5 millions d'euros), ses quinze demeures au Portugal, ou encore sa collection de sept bolides d’une valeur totale de 1,25 million euros, comme sa McLaren MP4, sa Porsche Panamera, sa Lamborghini Aventador ou sa Ferrari 599.Côté salaire, Ronaldo a touché très exactement 34 672 988,31 euros en 2014. Sans compter ses droits à l’image, versés par son club et des multinationales, pour s’approprier un peu de sa gloire. Ce sont justement ces gains de sponsoring, beaucoup plus faciles à dissimuler que les salaires, que Ronaldo a cachés derrière une société écran aux îles Vierges britanniques, un célèbre paradis fiscal
Un statut fiscal pourtant ultra-avantageux
Ces revenus sont issus d’un rapport travail/revenus qui dépasse l’entendement. En juin 2013, Ronaldo a par exemple consacré 6 h 45 de sa vie à Toyota. Tarif : 1,9 million de dollars, soit 4 691 dollars la minute. Mais à ce prix, la marque japonaise ne pourra utiliser le spot qu’au Moyen-Orient, en Algérie, au Maroc et en Afghanistan.
Cette restriction a ainsi permis à Ronaldo de tourner en Chine une publicité pour une autre voiture japonaise, la Honda Guangqi, plus avantageuse encore : six heures devant la caméra pour 2 millions d’euros. Et si par malheur la star devait rester un peu plus longtemps sur le tournage, il toucherait 600 000 euros de bonus. Chaque seconde compte
Nike reste toutefois imbattable. La firme américaine verse à Ronaldo un salaire de 1,6 million d'euros par an. Auquel il faut ajouter des primes : 250 000 euros par exemple, s’il finit meilleur buteur du championnat espagnol – à ce tarif, on comprend qu’il veuille tirer les penaltys. Comme on comprend qu’il veuille jouer à tout prix. Ronaldo a disputé la Coupe du monde 2014 en dépit d’une handicapante blessure au genou. Était-ce pour être à la hauteur de l’événement ? Ou parce qu’il aurait perdu la moitié de sa rémunération annuelle versée par Nike en cas de forfait ?
Si la Coupe du monde a lieu tous les quatre ans, Nike, lui, sort chaque année une nouvelle ligne « CR7 ». Toujours un événement. Ronaldo touche 5 % du produit de ces ventes, ce qui s’est traduit en 2011 par un virement de 2,6 millions d’euros.
Il est plutôt logique de vouloir se chausser comme Ronaldo. Mais on peut aussi rêver de se shampouiner comme lui, se parfumer à son image, de regarder l’heure sur la même montre, de manger ce qu’il aime – le géant américain Herbalife lui verse plus de 15 millions de dollars sur quatre ans –, ou de placer son argent dans une banque qu’il recommande ; et il s’y connaît. On peut même voler comme lui, dans le ciel s’entend : la compagnie Emirates lui verse 1,1 million.
S’il était un citoyen comme les autres, Ronaldo aurait créé en Espagne une société dans laquelle seraient versés tous ces émoluments. Ce ne serait pas trop douloureux pour lui, car tout a été fait pour faciliter la vie des footballeurs de son espèce. En 2004, une loi fiscalement avantageuse a été adoptée par le gouvernement espagnol pour, disait-il, attirer dans le pays les meilleurs scientifiques et cadres étrangers. Mais le texte a vite été rebaptisé « Lex Beckham » (du nom du célèbre joueur britannique), tant il était taillé pour les millionnaires du ballon.
Avec ce statut d’« impatrié » (qui octroie des avantages fiscaux à certains étrangers), les recettes marketing engrangées à l’étranger ne sont pas taxées. Zéro. Or les fiscalistes de Ronaldo estiment que 80 % de ses droits à l’image sont justement liés à l’étranger. Quant aux 20 % restants, gagnés en Espagne, le fisc n’en prélève que 24,75 %. Ronaldo n’est donc taxé, au bout du compte, qu’à un peu moins de 4 %. Contre 45 % pour ses coéquipiers espagnols, ou pour Lionel Messi, qui a la double nationalité argentine et espagnole.
Résumons : sur les 75 millions de droits à l’image engrangés entre 2009 et 2014, Ronaldo ne devait reverser au fisc que 540 000 euros par an, soit 2,7 millions au total. L’équivalent de ce qu’il gagne en quelques heures sur un tournage de pub.
Mais pour Ronaldo, c’est encore trop. La star se tourne donc vers son agent portugais, le plus puissant au monde : Jorge Mendes. Ronaldo le considère comme « un père ». Il l’a choisi comme parrain de son fils et a embauché sa fille comme community manager. Il lui a même offert une île grecque pour son anniversaire.
Papa Jorge prend les choses en mains. D’autant plus facilement qu’il s’y connaît en paradis fiscaux : dès 2004, il a mis en place un système offshore pour diminuer les impôts de ses illustres clients, dont l’entraîneur de Manchester José Mourinho (lire notre enquête ici). Il suffit d’intégrer Ronaldo dans l’équipe. En 2008, quelques mois avant que l’attaquant ne débarque au Real, il transfère ses droits à l’image à Tollin Associates, une société écran sans la moindre activité, immatriculée aux îles Vierges britanniques, où l’impôt sur les sociétés est nul. Puis Tollin en confie l’exploitation à Multisports Image & Management (MIM) et Polaris, deux sociétés du groupe Mendes. L’agent les a immatriculées en Irlande, pour ne pas effrayer les sponsors.
Les prestations de Ronaldo sont facturées par MIM. Laquelle prélève 6 %, reverse 20 % de commissions à Polaris, et envoie le solde à Tollin, qui le stocke sur des comptes en Suisse. La coquille aux Caraïbes engrange ainsi 75 millions d'euros entre 2009 et 2014. Sans que le fisc espagnol en ait la moindre idée. Ronaldo oublie, chaque année, d’en parler dans ses déclarations d’impôts. Le triple Ballon d’or n’en fera mention qu’en 2015. Et encore, de façon très partielle…
La soudaine transparence de « CR7 » est, en vérité, tout sauf spontanée. En septembre 2014, le fisc espagnol lance un premier contrôle visant José Mourinho. Dans l’écurie Mendes, c’est la panique. L’agent comprend vite que tous ses joueurs vont être visés. Et Tollin ne va pas tarder à être découverte. L’agent fait appel au cabinet espagnol Senn Ferrero pour assister son avocat historique, Carlos Osorio, l’homme qui a élaboré le montage fiscal.
Mendes commence même à remettre en cause les structures élaborées par Osorio. Le super agent a de quoi être inquiet. Ronaldo pèse à lui seul 60 % des recettes de la division sponsoring de son groupe. Un scandale fiscal serait dévastateur. Ce qui démontre au passage l’absurdité de la situation : vu la valeur de l’image de Ronaldo, le mensonge fiscal et ses répercussions auprès des sponsors pourraient lui coûter bien plus cher que les impôts dont il aurait dû s’acquitter…
Coup de chance, le contrat entre Ronaldo et Tollin expire fin 2014. Sauf que le moment n’est pas propice à une régularisation. Car le très généreux statut fiscal d’« impatrié » est sur le point de s’arrêter. À partir du 1er janvier 2015, Ronaldo sera taxé au taux normal de 45 % sur l’ensemble de ses revenus. En clair, il n’est plus question de payer 2,7 millions sur cinq ans (ce que Ronaldo avait déjà soigneusement évité de faire), mais de régler à l’avenir, pour des revenus similaires, plus de 30 millions d’euros. Insupportable.
Un miraculé fiscal
Papa Jorge a encore une fois la solution. En moins de deux mois, il réussit à monter une incroyable opération qui permet à Ronaldo de faire d’une pierre deux coups : se débarrasser de Tollin, l’encombrante coquille des îles Vierges où dorment alors les 74,8 millions d’euros récoltés entre 2009 et 2014 ; et continuer à bénéficier à l’avenir du taux d’imposition ultra-réduit qui est sur le point d’être abrogé.
Pour cela, il suffit de vendre avant le 31 décembre les droits à l’image de Cristiano Ronaldo pour la période 2015-2020. Reste à trouver un investisseur capable de payer. Cela tombe bien, Jorge Mendes a un ami aux poches profondes : le milliardaire singapourien Peter Lim. Mendes est en affaires avec lui depuis qu’il l’a aidé à racheter le club espagnol de Valence. Peter Lim a même été le témoin du mariage de Mendes. Cristiano Ronaldo le considère comme un « bon ami ». Il accepte tout naturellement de sortir son carnet de chèques.
Mais le temps de régler les détails de la vente, la date fatidique du 31 décembre approche dangereusement. Et il y a une tuile : Cristiano Ronaldo et ses coéquipiers du Real sont au Maroc pour disputer la coupe du monde des clubs. Qu’à cela ne tienne, les équipes de Mendes embauchent en catastrophe un notaire marocain pour rédiger les contrats (en français) et avaliser la vente.
Les documents sont signés par Cristiano Ronaldo à Marrakech le 20 décembre. Peter Lim rachète ses droits à l’image jusqu’en 2020 moyennant 74,7 millions d’euros, via deux sociétés offshore immatriculées aux îles Vierges britanniques. La première, Arnel, paie 11,2 millions d’euros pour les droits espagnols ; la seconde, Adifore, débourse 63,5 millions pour ceux du reste du monde. Lim doit verser les fonds à Ronaldo sur son compte numéro 413416, ouvert dans la petite banque privée Mirabaud & Cie à Genève. L'argent arrive le jour du réveillon de Noël, le 24 décembre, juste à temps pour pouvoir figurer sur sa déclaration de revenus 2014. Ronaldo est bien le roi du money time.
Il s'agit d'un fabuleux cadeau de Noël. D’abord parce que l’attaquant encaisse tout de suite cinq ans de recettes futures. Surtout, Cristiano Ronaldo ne réglera que 2,7 millions d’euros au fisc espagnol, contre 33,6 millions s’il avait touché normalement ses revenus de sponsoring pour la période 2015-2020. La star du Real a donc économisé 31 millions d’euros d’impôts grâce à une manœuvre manifestement destinée à lui faire profiter d’une ristourne fiscale à laquelle il n’avait plus droit.
Dans la foulée, l’équipe de Jorge Mendes fait le ménage. Tollin, la coquille des îles Vierges, est immédiatement dissoute. Il ne reste plus qu’à déclarer les revenus de Ronaldo au titre de l’année 2014. Les documents consultés par l’EIC montrent à ce moment-là la très grande fébrilité des fiscalistes en charge du dossier de Ronaldo.
Le 29 juin 2015, veille de la date limite de dépôt de la déclaration, celle-ci ne fait état que des 11,2 millions d'euros reçus d'Arnel pour ses droits d'image espagnols pour les années 2015 à 2020. Ronaldo est prêt à payer des impôts sur cette somme. Mais pas un mot des 11,5 millions d'euros de revenus de marketing espagnols des années 2009 à 2014 versés à Tollin. Le lendemain, ils sont finalement ajoutés, mais aucune explication n’est fournie au fisc sur l’origine des fonds.
Les documents Football Leaks montrent en réalité que les fiscalistes du cabinet Senn Ferrero veulent alors absolument cacher au fisc l’existence de Tollin et le montant total de 74,8 millions accumulé par la coquille aux îles Vierges. Selon eux, rien ne doit apparaître à ce sujet dans la déclaration de revenus de Ronaldo.
Pourquoi ces cachotteries ? Parce que « Ronaldo aurait dû déclarer l'argent versé à Tollin chaque année à partir de 2009, et pas uniquement en 2014 », indique à l’EIC l'avocat germano-espagnol Rafael Villena, expert dans ce type de montages. En clair, puisqu’il a déclaré ses revenus trop tard (et manifestement par peur d’un contrôle), le fisc aurait pu lui infliger au moins des intérêts de retard et des pénalités pour mauvaise foi. Mais comme on vient de le voir, les avocats de Ronaldo n’ont pas vraiment aidé les inspecteurs à y voir clair.
En envoyant la déclaration de revenus, les avocats de Senn Ferrero craignent le pire et ouvrent grand le parapluie. Ils prennent leurs distances avec leur confrère Carlos Osorio, celui qui a élaboré le montage offshore litigieux aux îles Vierges, expliquant qu’ils n’ont participé ni à sa conception ni à sa mise en œuvre, et encore moins à sa surveillance. Les fiscalistes de Senn Ferrero veulent absolument se couvrir, car ils estiment déjà que cette déclaration de revenus aura des conséquences.
En effet, en décembre 2015, l’Agencia Tributaria de Madrid lance finalement le contrôle fiscal que tout le monde redoutait. Il porte sur la période 2011-2013. Senn Ferrero se retrouve dans l’obligation de fournir tout un tas de contrats, de clauses et d’accords. Avec un point faible identifié : Tollin. Et quand Senn Ferrero interroge le fiscaliste historique de Mendes, celui-ci esquive. Il ordonne même de ne rien dire au sujet des bénéficiaires de Tollin sans lui en avoir parlé au préalable.
Mais Ronaldo est né sous une bonne étoile. Et il est bien entouré. Quand il se blesse en finale de l’Euro après 25 minutes de jeu et qu’il sort du terrain, on croit qu’il va tout perdre. Il triomphe. Quand le fisc espagnol se plonge dans son montage offshore, on croit qu’il va le payer cher. Il s’en sort encore.
Grâce au travail de ses avocats, l’Agencia Tributaria a finalement considéré que Tollin n’appartenait pas à Ronaldo. C’est un grand soulagement. Ils se félicitent bruyamment entre eux, bien conscients d’avoir réalisé un exploit. Ce n’était, de fait, pas gagné d’avance : le contrat entre Ronaldo et Tollin stipule noir sur blanc que tout l’argent logé dans la structure lui appartient en propre.
Reste la question de la vente des droits à l’image 2015-2020 à Peter Lim, qui a permis à Ronaldo d’éluder 31 millions d’euros d’impôts. Coup de chance, là encore : elle a eu lieu en 2014, l’année qui suit la période 2011-2013 visée par le contrôle fiscal. Pourtant, l’opération inquiète beaucoup l’entourage du joueur. Au point d’être inscrite à l’ordre du jour d’une réunion de crise le 22 octobre 2015 au siège du cabinet Senn Ferrero, deux mois avant le contrôle fiscal de Ronaldo.
Ce jour-là, ses avocats estiment qu’un contrôle fiscal est certain au sujet de la vente à Peter Lim. Et ils ne sont pas optimistes. Il faut dire qu’il y a de quoi être inquiet. À propos d’une opération strictement identique, réalisée le même jour par James Rodriguez, un autre poulain de Jorge Mendes (lire notre enquête ici), les avocats parlent d’occultation et d’intention d’évasion fiscale. Concernant Ronaldo, ils veulent à tout prix éviter que le fisc établisse un lien entre la vente de ses droits futurs et la fin du régime d’« impatrié ».
Interrogé par l’EIC, Carlos Osorio, l’avocat portugais qui a élaboré le montage aux îles Vierges, « regrette », comme ses confrères espagnols de Senn Ferrero et comme Gestifute, que le consortium s'appuie, dit-il, « sur des documents volés » et « manipulés ». Et plutôt que de défendre la légalité du montage, il préfère s'en démarquer, contre toute évidence : « Je n'ai rien à voir avec la création des structures de droits à l'image pour les personnes mentionnées. Je nie catégoriquement les accusations faites à mon encontre. » Quant aux autres acteurs de l'affaire, ils se sont presque tous réfugiés dans le silence (voir la boîte noire).
Pour l’instant, Ronaldo s’en sort bien. Il a été contrôlé par la même inspectrice que José Mourinho. Cette dernière a infligé à l’ancien entraîneur du Real un redressement fiscal de 4,4 millions d’euros pour un montage identique à celui de Tollin. Mais après les révélations de l’EIC, Ronaldo, l’homme qui fait si souvent trembler les filets, aura plus de mal à passer entre les mailles.
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