mercredi 21 décembre 2016

IMPÔTS ANALYSE : Prélèvement à la source: l’«usine à gaz» qui vient?

Le prélèvement à la source pour l’impôt sur le revenu, adopté définitivement dans la loi de finances 2017, est censé être une révolution qui simplifiera la vie des Français. Pourtant, de très nombreux contribuables se retrouveront dans des situations particulièrement complexes.




« mesure historique », se réjouit le ministre de l’économie Michel Sapin depuis plusieurs mois. Une réforme « qui changera le quotidien de tous nos concitoyens », renchérit le secrétaire d’État au budget Christian Eckert. L’Assemblée nationale vient d’adopter définitivement le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. L’aboutissement de très longs débats et de vifs échanges entre les socialistes, convaincus qu’ils œuvrent pour la simplification de la vie des contribuables français, et la droite qui, après avoir défendu le principe du prélèvement à la source pendant des années, lui trouve désormais tous les défauts et menace d’annuler la réforme si elle accède au pouvoir au printemps.
Le prélèvement à la source, c’est quoi ? Comment ça marche ? Est-ce la panacée vantée par le gouvernement ? A-t-il au contraire tous les défauts du monde ? Éléments de réponse.
 
  • LA FRANCE, ENFIN UN PAYS COMME LES AUTRES
« Rendre l'impôt contemporain des revenus. » Autrement dit, faire en sorte que lorsque les 45,6 % des ménages français payant l’impôt sur le revenu versent de l’argent au fisc, ils le fassent en fonction de leurs revenus du moment, et non de ceux qu’ils ont obtenus deux ans plus tôt. Voici l’ambition principale de la dernière grande réforme du quinquennat de François Hollande. Pour parvenir à ce but, le gouvernement prévoit que l’impôt sera directement prélevé au moment du versement du salaire et des revenus, comme le sont déjà les cotisations sociales.
Christian Eckert présente le prélèvement à la source - septembre 2016
Annoncée en juin 2015, présentée en conseil des ministres en septembre, cette importante réforme a été incluse dans le projet de loi de finances 2017, qui vient d’être voté. Selon le gouvernement, il n’y a que des avantages à cette révolution fiscale, et il la détaille sur un site web dédié ou dans un petit livret explicatif.
En instaurant le prélèvement à la source, le gouvernement réussirait là où bien d’autres ont échoué en cours de route. Car ce système est une Arlésienne du débat politique depuis de longues années. Dès 1967, Jacques Chirac, secrétaire d’État à l’économie du général de Gaulle, parlait de l’instaurer. En 1973, Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des finances, n’avait pas réussi à le faire appliquer bien qu’il l’ait fait voter. En 2006, un autre ministre de l’économie, Thierry Breton, renoncera à le faire adopter.
En 1973, déjà, Giscard avait fait ce constat : « Tous les pays modernes, même l'Union soviétique, pratiquent le prélèvement à la source. » La remarque vaut toujours : ils sont bien peu nombreux, les États à ne pas avoir instauré le prélèvement à la source. Parmi les pays développés, la France ne peut se ranger qu’aux côtés de la Suisse et de Singapour, qui n’ont pas sauté le pas. Et ceux qui l’ont fait ont souvent changé de système il y a des dizaines d’années. Au Royaume-Uni, le système concerne les deux tiers des contribuables et est en place depuis… 1944. Et pas plus qu’en Allemagne ou aux États-Unis, il n’est critiqué.
Parmi les partisans farouches de l’impôt à la source, on trouve le député socialiste Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin et spécialiste des questions fiscales. « Tous ceux qui ont expérimenté le prélèvement à la source le savent, c’est extrêmement simple. C’est une imposition instantanée, ou presque. Et c’est un avantage considérable pour le contribuable », s’enthousiasme-t-il.
 
  • UN PRINCIPE SIMPLE
Le gouvernement ne cesse de le rappeler : le prélèvement à la source, c’est simple, au moins sur le principe. Pour les ménages, il n’y a aucune démarche supplémentaire à réaliser par rapport à aujourd’hui. À partir du 1er janvier 2018, l'impôt sera prélevé directement sur la feuille de paie des salariés par leur employeur. Le système sera équivalent pour les retraites, les indemnités maladie, le chômage ou les congés maternité. Fini le prélèvement mensuel sur dix mois ou le versement par tiers, les sommes seront collectées tous les mois par les employeurs ou les organismes sociaux, puis versées au Trésor public. Le taux de prélèvement sera ajusté chaque année en fonction des revenus déclarés par le contribuable. Comme aujourd’hui, la déclaration de revenus sera toujours à remplir avant l’été, et elle donnera lieu à une régularisation. Ne sont pas concernés les plus-values et les revenus du capital, qui resteront imposés en année « n + 1 ».
Les professions libérales et les indépendants verseront un acompte mensuel ou trimestriel, calculé en fonction de leurs revenus des mois précédents, et ajusté ensuite selon leurs revenus effectifs. S'ils anticipent une forte baisse de leurs revenus, ils pourront signaler leur situation à l'administration fiscale.


L’année de transition a causé des sueurs froides à Bercy. En effet, en 2017 on payera ses impôts sur les revenus de 2016. Et en 2018, sur ceux de 2018. Les revenus de 2017 ne seront donc pas pris en compte... sauf s'ils sont « inhabituels » : les revenus exceptionnels ou les hausses temporaires de revenus seront bien pris en compte.
Le gouvernement a bien sûr fait en sorte qu’il soit possible de moduler le taux d’imposition ou les acomptes versés en cas de « changement important » de situation. Les mariages, Pacs, divorces ou naissances devront être signalés dans les deux mois, et le taux de prélèvement sera recalculé dans la foulée, promet l’exécutif. Autre cas : si un foyer anticipe une forte variation de ses impôts, il pourra ajuster ses prélèvements, librement à la hausse. Mais à la baisse, seules les variations de plus de 10 % ou de 200 euros seront prises en compte. Et des pénalités sont même prévues si le contribuable se « trompe » à son avantage…
Pour les couples, deux options : soit, comme aujourd’hui, chacun sera taxé sur ses revenus au taux d’imposition commun du couple, soit chaque membre du couple opte pour son propre taux d’imposition, sur ses revenus individuels. Ce choix, nommé « individualisation », permettrait notamment aux femmes mariées gagnant beaucoup moins que leur mari de n’être imposées que sur leurs revenus propres, à un taux faible, le restant étant à la charge du mari. Ce choix doit en théorie être fait par le couple… mais l’administration réserve de fait au mari la possibilité de passer à l’individualisation, la femme ne pouvant lui communiquer seule ce choix.
L’employeur ne connaîtra en aucun cas le détail des revenus ou du patrimoine du couple. Il n’aura connaissance que du taux d’imposition global qu’il doit appliquer au salaire de son employé. Néanmoins, ce taux, s’il est plus élevé que « prévu », peut laisser penser que le conjoint gagne beaucoup d’argent, ou que la salariée touche d’autres revenus par ailleurs. Si ce dernier ne souhaite pas que des questions apparaissent sur son taux d’imposition, il peut opter pour un « taux neutre », qui correspondra à celui que paye un célibataire sans enfants. Il régularisera ensuite sa situation en versant un complément une fois par an directement au fisc.
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  • UNE IMPOSITION MIEUX EN PHASE AVEC LA RÉALITÉ
La nouvelle modalité de perception de l’impôt sera aussi plus juste pour les Français, assure le gouvernement. Par exemple, Christian Eckert interrogeait le 28 septembre, lors de la présentation du projet de loi de finances 2017 : « Saviez-vous que chaque année, 30 % des contribuables voient leurs revenus baisser d’une année sur l’autre et doivent s’acquitter d’un impôt qui ne correspond plus à leur revenu ? » Il assure qu’avec le prélèvement à la source, ces changements de situation « seront pris en compte immédiatement », puisque le taux de prélèvement mensuel sera alors appliqué à des revenus plus faibles.
Les prélèvements seront étalés sur douze mois, au lieu de dix actuels pour ceux qui ont opté pour la mensualisation. Les jeunes entrant dans la vie active paieront de l'impôt dès leur embauche, et non à partir de l’année suivante. Dans leur cas (ou pour des actifs rattachés au foyer fiscal de leurs parents), un taux standard correspondant à celui d'un célibataire sans enfant leur sera appliqué. À l’inverse, en cas de retraite, l’impôt payé sera directement appliqué sur le montant de la pension, et pas sur la dernière année des revenus d'activité. Et en cas de décès, les descendants n'auront plus à payer l’année suivante les impôts de la personne disparue.
« Saviez-vous, continuait le ministre, que chaque année, 1,2 million de foyers changent de situation personnelle (mariage, Pacs, ou malheureusement, un divorce, un décès) et environ 800 000 enfants naissent ? » Dans toutes ces situations, « l’impôt s’adapte avec retard », puisqu’il faut attendre la prise en compte par l’administration de la déclaration d’impôts de l’année suivante. Avec le nouveau système, chacun pourra déclarer ces changements dès qu’ils arrivent, et ils seront pris en compte dans la foulée dans le calcul de l’imposition.
Pour rassurer, le gouvernement précise que les Français non imposables ne seront évidemment pas prélevés. Mais il propose aussi que si un foyer n’a pas été imposé les deux dernières années, rien ne lui soit prélevé si son revenu fiscal de référence est inférieur à 25 000 euros par part fiscale (un adulte vaut une part, les deux premiers enfants une demi-part, et les suivants une part complète).
 
  • MAIS DANS LES FAITS, UN CASSE-TÊTE D'UNE COMPLEXITÉ EXTRÊME
Face aux annonces rassurantes du gouvernement et de ses alliés, et devant les mécanismes prévus par la loi, les levées de bouclier sont pourtant très nombreuses. Et elles viennent de toutes les directions. On ne compte plus les tribunes de dirigeants d’entreprise ou de cabinets d’avocats fiscalistes qui critiquent le prélèvement à la source tel qu’il est prévu par le texte qui vient d’être voté. La majorité de droite du Sénat a consacré un rapport parlementaire à dénoncer le « choc de complexité » qui s’annonce. Le banquier, ancien dirigeant du Crédit lyonnais et soutien de François Bayrou Jean Peyrelevade, qualifie de « mensonger » le slogan promettant une simplification de l’impôt. Il est rejoint par Roland Veillepeau, qui a longtemps dirigé l’entité du fisc chargée de contrôler les plus grandes entreprises, la DVNI.
Sur son blog hébergé par Mediapart, le spécialiste qualifie le texte voté d’« immense usine à gaz totalement inapplicable et incapable de répondre à la question posée ». Il pronostique carrément « un accident industriel, au milieu de l’année 2018 » : « le capotage du nouveau dispositif face au mécontentement puis à la colère d’une partie des 46 millions de contribuables concernés ».
Ces jugements catastrophistes sont partagés par les principaux syndicats des employés de l’administration fiscale. « Pour l’opinion publique, il s’agit d’une mesure de simplification. Mais en réalité, plus les débats ont avancé, plus le système envisagé s’est complexifié, souligne Alexandre Derigny, de la CGT-Finances. Nous étions opposés au principe dès le départ, et nous ne sommes toujours pas rassurés. La réforme va être très complexe, et illisible. À titre d’exemple, la brochure distribuée aux agents pour appliquer la réforme fait 476 pages ! » Même son de cloche chez Solidaires-Finances publiques : « Nous allons faire face à de nouvelles procédures très compliquées, et à un afflux de demandes d’explications ou de rectifications. Or, nous ne sommes plus dimensionnés pour pouvoir y répondre : nos services ont subi 37 000 suppressions de poste en 13 ans », explique François-Xavier Ferrucci. « Pour 2017, on nous traite mieux, ironise-t-il : au lieu des 2 000 emplois supprimés chaque année en moyenne, ce sera cette fois seulement 1 600 suppressions. »
« Mais pourquoi donc la France serait-elle incapable de mettre en place un système qui existe partout ? », s’interroge à haute voix le député Pierre-Alain Muet, ouvertement agacé. Ce à quoi répondent, quasiment d’une seule voix, les experts critiques que la France se distingue de bien d’autres pays pour deux raisons : « Nous sommes sans doute les seuls à cumuler une aussi forte progressivité de l’impôt sur le revenu, et l’existence du concept quotient familial, où l’impôt à verser dépend du nombre de personnes à charge dans le foyer », rappelle-t-on à la CGT-Finances.
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En fait, pour calculer précisément l’impôt dû, le fisc français est obligé d’additionner toutes les ressources du foyer, sur toute l’année, mais surtout de connaître précisément la composition de la cellule familiale si le couple est marié ou pacsé. Et la France compte toujours une proportion importante de niches fiscales donnant droit à des réductions d’impôt, en premier lieu celle qui concerne l’emploi à domicile. Un calcul a posteriori est donc toujours nécessaire une fois l’année écoulée. Et comme les déclarations de revenu s’effectuent au milieu de l’année, le casse-tête devient vite redoutable, loin de la simplicité promise.
Pour les amateurs, voici un rappel des mécanismes à l’œuvre, détaillé par Roland Veillepeau : « En août n, l’administration fiscale adresse au contribuable sa feuille d’impôt relative à l’année n–1. Elle notifie également au contribuable son taux d’impôt sur le revenu réel de l’année n–1, qui s’appliquera l’année n+1, ce qui fait qu’en janvier n+1 on appliquera le taux réel de n–2. Beau départ pour une simplification ! (…) En avril n+1, le contribuable déclare ses revenus de l’année n. En août n+1, le contribuable reçoit sa feuille d’impôt concernant ses revenus de l’année n, avec un solde à payer de septembre à décembre, ou un remboursement du trop-perçu. En août n+1 également, l’administration fiscale notifie au contribuable son nouveau taux d’impôt sur le revenu réel de l’année n, qui s’appliquera dès septembre de l’année n+1 et sur les huit premiers mois de n+2. » Et ainsi de suite.
Bref, contrairement à ce que la réforme pourrait laisser entendre, le paiement de l’impôt après la réforme ne sera toujours pas « contemporain » du paiement du salaire… Par ailleurs, rappelons que n’importe lequel des 46 millions de contribuables français sera libre de moduler son taux d’imposition à la hausse ou à la baisse. Le gouvernement a promis que la modification serait prise en compte dans les trois mois. Les syndicats des agents du fisc n’y croient pas.
 
  • DES AVANCES SUBSTANTIELLES ACCORDÉES AU FISC
Même en tenant compte des critiques exprimées, il est bien sûr possible que l’année 2018 se passe sans encombre pour une bonne partie des contribuables, qui n’auront pas de questions compliquées à régler ou de changements brutaux de situation. Mais pour certaines catégories de la population, le passage d’un régime à un autre s’annonce assez difficile à avaler.
D’abord, les nouveaux entrants sur le marché du travail, les nouveaux embauchés ou les Français abonnés aux contrats courts, CDD, intérim et autres missions temporaires… Dans leur cas, où il n’y a pas d’information sur le niveau de salaire préexistant et où les employeurs peuvent être nombreux sur un an, la loi prévoit qu’en attendant leur déclaration fiscale annuelle, leur soit appliqué le taux par défaut d'un célibataire sans enfant. Problème, même s’il travaille avec un bon salaire pendant plusieurs mois, rien ne dit qu’un nouvel embauché ou un salarié en contrat court sera imposable si l’on prend en compte ses revenus d’une année entière





De nombreux Français pourraient donc faire une sacrée avance au fisc, le temps que l’administration établisse qu’ils seront non imposables, puis les rembourse… en septembre de l’année suivante. Selon les calculs d’avocats fiscalistes dans une tribune publiée dans Le Monde, pour un salarié touchant pour la première fois un salaire de 2 000 euros par mois, « la somme globale de 2 160 euros sera prélevée à la source alors que son impôt réel est de 1 666 euros ». Même difficulté pour « l’étudiant travaillant trois mois l’été et rattaché au foyer fiscal de ses parents : « S’il perçoit un revenu de 1 500 euros par mois, 180 euros d’impôts seront prélevés à la source, alors qu’en réalité, cet étudiant n’est pas imposable sur ces revenus. »
En fait, ces cas ne seront pas aussi nombreux que le laisse entendre cette tribune : la loi prévoyant que seuls les salaires dépassant 1 360 euros net par mois seront concernés par le prélèvement à la source, la question se pose. D’autant que cette situation visera principalement les Français aux statuts professionnels les plus précaires.
Le deuxième cas où les avances seront systématiques concerne les contribuables ayant droit à des crédits d’impôt, et notamment ceux qui font appel à des emplois à domicile, dont les salaires sont parfois largement pris en charge par l’État. Les crédits d'impôt seront maintenus, et continueront d'être perçus par le contribuable l'année suivant le paiement des salaires. Le taux de prélèvement ne prendra donc pas en compte les crédits d'impôt, et certains Français devront donc avancer de l'argent au fisc les premiers mois de l'année, avant de toucher un remboursement en septembre de l’année suivante.
À Bercy, on considère que le sujet n’est pas si important, puisque « sur 37 millions de foyers fiscaux, seuls 9,6 millions perçoivent des crédits ou réductions d'impôts ». Soit tout de même un quart des ménages français… Notons qu’en Allemagne, la plupart des personnes assujetties à l'impôt sur le revenu salarié obtiennent tous les ans des remboursements d'impôt après régularisation, et que cette situation est entrée dans les mœurs. Encore faut-il s’y habituer.
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  • LA GRANDE PEUR DES ENTREPRISES
La grande nouveauté de la réforme est l’entrée dans l’équation des entreprises. Ce sont elles qui prélèveront les impôts pour la majorité des Français, puis en reverseront le montant chaque mois (ou chaque trimestre pour les entreprises de dix salariés ou moins). Et c’est loin, très loin de leur plaire. Bercy assure que la généralisation de la déclaration sociale nominative (DSN), qui remplacera d’ici à la fin 2017 toutes les déclarations sociales envoyées par l’employeur à l’administration, facilitera la transmission des informations. Mais l’inquiétude reste vive. Le Medef, la CGPME et l’UPA ont toutes plaidé pour le report, voire le retrait, du texte. Le Medef a demandé une compensation financière de l’ordre de 2 % des sommes collectées, pour compenser le coût de la collecte.
En septembre dernier, l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) a officiellement dit son « inquiétude ». Les professionnels de la DRH craignent de devenir l’interlocuteur privilégié de leurs employés pour discuter de questions fiscales qu’ils ne maîtrisent pas. Sans parler de la mauvaise surprise (qui passera avec l’habitude) de voir diminuer la somme réellement versée par l’entreprise à partir de janvier 2018.
Mais ces inquiétudes sont partagées. Notamment par les syndicats du fisc, qui rappellent qu’au lieu d’un percepteur unique, on passera à des interlocuteurs très divers, entreprises et autres administrations publiques. Pour eux, il y a de quoi sérieusement gripper le système. « Des milliers d’employeurs vont entrer dans le jeu, ce qui multiplie d’autant les risques d’erreur », s’alarme Alexandre Derigny, de la CGT-Finances.
Au passage, François-Xavier Ferrucci de Solidaires souligne que les retraités ou les employés des collectivités locales ne sont pas concernés par la DSN, pourtant présentée par Bercy comme un pilier de la réforme. « Dans leur cas, nous fabriquons un succédané de DSN, explique-t-il. Et même si nos services informatiques sont très bons, on ne peut exclure qu’il y ait des bugs informatiques, compte tenu du peu de temps qu’ils ont pour travailler. »
Surtout, les syndicats prédisent une forte baisse du taux de recouvrement de l’impôt. « Dans le système actuel, rappelle Derigny, 99,5 % des sommes dues au titre de l’impôt sur le revenu sont effectivement collectées. Cela ne sera pas le cas pour les entreprises. D’une part, certains escrocs collecteront les sommes mais ne les reverseront pas. D’autre part, surtout, il faut penser aux entreprises en difficulté, qui s’en serviront comme trésorerie. Ou à celles qui feront faillite, et pour lesquelles on aura du mal à récupérer les sommes dues. »
Pour Pierre-Alain Muet, ces craintes ne sont pas pertinentes : « Ce n’est pas nouveau qu’un impôt soit prélevé directement sur le salaire : c’est le cas pour la CSG et la CRDS depuis vingt ans, et cela fonctionne parfaitement ! Il ne faut pas faire de mauvais procès… » Erreur, assurent les syndicats : la CSG est prélevée comme les cotisations sociales, alors que l’impôt suivra le chemin de la TVA, collectée par les entreprises puis reversées à l’État. Or, selon les estimations, environ 10 % des sommes collectées au titre de la TVA ne sont jamais reversées à l’État.
 
  • UN VOTE, ET APRÈS ?
Le texte a été définitivement adopté. Et maintenant ? Durant les mois de préparation, plusieurs voix se sont élevées, principalement à droite, pour dénoncer une réforme qui préparerait sans le dire à la fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu. La droite n’en veut pas parce qu’elle craint que le taux de CSG, fixe aujourd’hui (à 7,5 %, plus 0,5 % de CRDS), soit ensuite augmenté pour les plus riches.
Cette fusion « CSG-IR » était en effet citée dans le programme de François Hollande en 2012, mais elle a été abandonnée. Au grand dam de certains socialistes, comme Pierre-Alain Muet, qui plaide pour cette réforme depuis des années, aux côtés de l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault. Il y a un an, ils avaient même réussi tous deux à faire voter un amendement préparant cette fusion en instaurant une progressivité de la CSG pour les plus bas salaires. Mais la réforme a été censurée par le Conseil constitutionnel. « Aujourd’hui, 9 Français sur 10 payent plus de CSG que d’impôt sur le revenu, et la CSG démarre à 8 % dès le premier euro, c’est un scandale ! Qui le sait ? » Les propositions du député sont aujourd’hui reprises par le candidat à la primaire socialiste Arnaud Montebourg, qu’il soutient.
Mais aujourd’hui, tous les yeux sont bien sûr tournés vers l’autre bord politique. Que fera François Fillon, s’il l’emporte à l’élection présidentielle de mai prochain, lui qui annonçait l’abrogation du prélèvement à la source dans son programme de candidature à la primaire de droite ? Que feront les Républicains s’ils balayent leurs adversaires lors des législatives qui suivront ?
Pendant des années, la droite a pourtant défendu le principe du prélèvement à la source. Mais elle n’a eu de cesse de combattre le projet du gouvernement. « Le président de la commission des finances de l’Assemblée, Gilles Carrez, nous a expliqué qu’il ne voyait plus l’intérêt de cette mesure très complexe depuis que la déclaration préremplie existait et fonctionnait bien, que la mensualisation prenait son essor et compte tenu du fait que la télédéclaration devient progressivement obligatoire », indique François-Xavier Ferrucci, de Solidaires.
De là à imaginer que la droite au pouvoir se précipiterait pour annuler la réforme votée en décembre 2016… Dans leur rapport parlementaire, les sénateurs LR ont proposé une piste, qui est aussi celle que préconise l’ancien ministre du budget Éric Woerth : généraliser le prélèvement mensuel, le répartir sur 12 mois au lieu de 10, et le calculer sur les revenus de l'année en cours. Un système proposé par le Conseil des prélèvements obligatoires en 2012. Ce serait alors au contribuable de prévenir l'administration en cas de modifications de revenu. C’est justement la solution qui a été retenue par le gouvernement pour les indépendants et les professions libérales.
Rassurés, les syndicats des impôts ? À la CGT, Alexandre Derigny se méfie : « On pourrait aussi penser à autre chose : et si la droite attendait que le nouveau système fonctionne mal, très mal et que les Français soient très remontés contre lui ? Alors, il serait assez facile de retoucher le mode de recouvrement, mais aussi d’en profiter pour s’en prendre carrément au principe même de l’impôt sur le revenu en France, à savoir sa progressivité. » Scénario catastrophe contre scénario catastrophe.


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